Dans le numéro de Mars-Avril, Panorama a rencontré une famille rom, accueillie par une paroisse à Hem, dans la banlieue lilloise. Une chance d’intégration pour cette famille en situation de grande précarité. Concrètement, quel investissement un tel projet demande-il ? Explications.
En octobre 2013, Sonia, Christian et leurs quatre enfants, originaires de Roumanie, sont expulsés une énième fois du campement de fortune où ils vivaient près de la gare de Croix, dans le Nord (1). Alerté par la situation de détresse de cette famille rom, le curé de la paroisse de la Trinité, à Hem décide de les accueillir, et lance un projet d’insertion durable, avec l’implication de ses paroissiens.
Aujourd’hui, la famille Lingurar vit dans un mobil home, dans le jardin attenant à l’église Saint-Paul. Une trentaine de bénévoles assure à leurs côtés la scolarisation des enfants, l’alphabétisation des parents, le suivi médical, les démarches administratives et accompagne le père dans ses recherches d’emploi.
Grâce à des dons, la paroisse a de quoi subvenir aux besoins de cette famille pendant un an, soit 700 euros par mois.
Alors que les évacuations de camps de Roms se sont accélérées partout en France, et que l’actualité met en lumière, de façon dramatique, les conditions de vie des Roms (2) et (3), cet exemple d’insertion peut inspirer d’autres paroisses ou associations. La paroisse de la Trinité a monté un dossier (4) : une sorte de mode d’emploi pour proposer à d’autres paroisses de la région lilloise d’accueillir des familles roms. A commencer par les frères et sœurs de Sonia qui vivent toujours dans des caravanes, sans eau ni électricité, près d’Halluin. Comment s’y prendre?
- Trouver un terrain sécurisé
En pleine agglomération, à proximité des commerces, la paroisse de la Trinité, qui compte trois clochers, dispose d’un grand jardin attenant à l’église Saint Paul. C’est là qu’un mobil home a été installé pour loger la famille Lingurar, sur un terrain clos, protégé des regards par une barrière. Quelques paroissiens se sont remonté les manches pour réaliser les raccordements à l’eau, l’électricité et à l’égout. La famille Lingurar a signé un contrat moral avec la paroisse. Propreté des lieux, tri sélectif, pas de mendicité, scolarisation obligatoire des enfants, apprentissage maîtrisé du français par les parents… Elle s’est également engagée à ne pas faire venir d’autres membres de la communauté rom sur ce terrain. L’objectif :
« Un tremplin vers l’insertion professionnelle, une intégration adaptée et l’accès à un logement normal. »
Pour accueillir une famille, il faut d’abord disposer d’un terrain ou d’un logement avec la possibilité d’installer l’eau, l’électricité et l’accès aux toilettes. Une salle paroissiale peut faire office de premier lieu d’accueil en cas d’extrême urgence. Avant d’envisager l’accompagnement vers l’insertion d’une famille rom, il est important de prendre contact avec la mairie et les associations concernées (Secours catholique, Romeurope, Restos du cœur, etc) et de bien définir le projet. La présence des Roms peut susciter l’inquiétude ou la méfiance des riverains. Pour rassurer le voisinage, des rencontres peuvent être organisées, à l’occasion d’une fête ou d’un événement local par exemple. A Hem, la famille Lingurar a très vite été apprivoisée par les commerçants et par l’école publique.
- Réunir une équipe et définir les « postes » de services
D’après l’expérience de la paroisse de la Trinité, il faut une trentaine de bénévoles pour venir en aide à une famille de six personnes ! Le projet d’insertion s’inscrit en effet dans la durée. Première étape : sensibiliser les troupes. Le Père Michel Clincke a commencé par présenter la famille Lingurar un dimanche pendant la messe à ses paroissiens, en expliquant précisément quels étaient les besoins. Des bénévoles ont spontanément proposé leurs services. Ensemble, ils ont défini et attribué les principaux « postes » de services :
- soutien scolaire des enfants : 4 personnes « Ne pas faire trop scolaire mais aussi ludique et adapté et tenir compte de la fatigue des enfants. »
- lien avec les écoles et trajet : 6 personnes, un ou deux trajets par semaine et par personne
- l’alphabétisation des parents (2h par jour) : 6 personnes
- les démarches administratives et juridiques (CAF, CMU) : une personne
- relations avec le quartier et les pouvoirs publics : une personne
- relations avec l’AREAS (Association régionale d’étude et d’action sociale pour les gens du voyage) : une personne
- relations avec l’Antenne Secours Catholique pour les Roms : une personne
- travaux d’installation du mobil home : 3 personnes
- santé : 3 personnes
- suivi psychologique et soutien affectif, et lien avec le reste de la famille en errance : une personne
- finances et budget : 3 personnes
Des médecins de la paroisse font bénévolement les consultations médicales. Des associations servent de relais pour les besoins courants de la famille (vêtement, santé, etc). Certains bénévoles donnent une ou deux heures de leur temps par semaine, sur des créneaux bien définis, d’autres s’investissent ponctuellement sur des missions (bricolage, démarches administratives). Tous les mois, l’équipe se réunit pour faire le point sur les avancées de l’insertion, avec Sonia et Christian. En quelques mois, leur quotidien s’est transformé et les progrès sont encourageants.
- Récolter de l’argent
La paroisse de la Trinité a récolté 8 385 euros de dons pour subvenir aux besoins de la famille Lingurar. Ils n’ont reçu aucune aide des collectivités territoriales. Le budget mensuel se répartit de la manière suivante :
- nourriture : 500 euros
- électricité/eau : 130 euros
- cantine, scolarité : 100 euros
Un compte en banque a été spécialement ouvert pour recevoir les dons (5).
- Déconstruire les préjugés sur les Roms
Le sujet des Roms, extrêmement sensible dans la région Nord-Pas-de-Calais comme ailleurs en France, suscite clivages et tensions, y compris au sein de l’Église. Régulièrement, le Père Michel Clincke désamorce les polémiques auprès de chrétiens qui ne comprennent pas que l’on déploie autant d’énergie pour l’intégration d’une famille rom. « L’éternelle rengaine, c’est qu’il y a déjà assez de familles à aider. Je réponds que seize mille familles touchent le RSA à Roubaix. A côté, ce ne sont que des miettes qui sont données aux Roms. » La paroisse a même mis par écrit un argumentaire, pour répondre à ses détracteurs. Ces quelques lignes invoquent la « solidarité nationale », mais aussi l’Évangile. « J’avais faim et tu m’as donné à manger, j’étais un étranger et tu m’as accueilli […] Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, dit Jésus, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mat 25, 31-46).
1. Lire Panorama de Mars-Avril : Une paroisse, une famille rom, l’audace de la fraternité
2. Une fillette rom tuée par un chauffard à Roncq, dans La Voix du Nord
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3. A Bobigny, une fillette tuée dans l’incendie d’un camp de Roms, dans Le Parisien
4. Pour plus d’informations, contacter la paroisse de la Trinité, 4 boulevard du Cateau, 59100 Roubaix 03 20 75 77 69 ou le P. Michel Clincke : michel.clincke@wanadoo.fr
5. Pour faire un don, chèques à envoyer au 4 Bld du Cateau 59 100 Roubaix avec l’intitulé : Abbé Clincke Michel Roms