Elle nous le confiait dans la « Conversation » de notre numéro de mai 2014 : enseignante, écrivain, Véronique Dufief est également depuis toujours une passionnée de poésie. « La poésie est comme mon visage intérieur » , nous écrit-elle. En exclusivité pour Panorama, découvrez ici quatre poèmes inédits. A partager largement !
Nous vivons
En un temps qui s’affaisse
Devant lequel nous n’avons parfois
Pas d’autre choix que de nous effondrer
Ceux qui sont à terre
Sont alors comme une pierre
Jetée au fond de nos propres eaux
Ils nous rappellent à l’ordre du silence
De l’inertie
Nous font entendre dans la caverne qui résonne
Le grand accablement de tout ce qui est mort
Avec l’humilité du désarroi
Le corps de nos frères malades
Nous ramène à la vie
Le dénuement où ils sont en notre lieu et place
Est le contrepoison de notre frénésie
Leur lenteur réduit à la surdité
Les tonitruants clairons de la vigueur
Seigneur aide-nous à parler
La langue de ceux que leur désir d’être vivants
A rendus muets
Fais ployer le genou
À l’insolence de notre santé
Au chevet de ceux qui acceptent
De n’en plus pouvoir
Enseigne-nous l’insanité de notre toute-puissance
****************************************
Les brins d’herbe
Luisent dans la brise
Je suis un millepertuis
Constellé de pores
Je soigne les blessures de guerre
J’ai tellement souffert
Que ma joie
Libérée de l’enfer
Est devenue
Un vulnéraire
****************************************
Nous tous qui peuplons la terre
Nous sommes un seul corps
Entretissé de fibres délicates
Les souffrances et les joies
Passent par chacun de nous
Les lueurs d’intelligence
Et les aveuglements
Nous ouvrent et nous ferment les yeux tour à tour
Aucun de nous n’est à l’abri
De la douleur d’un seul
Aucun de nous ne perd la joie
Qui gonfle la nervure des feuilles
Au début du printemps
Certains tombent malades
Quand d’autres ont besoin de danser
Oublieux de toute maladie
Quelques uns
Ont la démesure amoureuse de donner
Quand nous nous amputons de nos mains
De peur de les ouvrir
Montre-nous Ton visage ô Christ
Que nous sentions les contours
De notre forme humaine
****************************************
Seigneur
Aide-moi à traverser l’angoisse
Chaque fois qu’elle revient
En gardant ma main
Dans la Tienne
Pour les siècles sans fin
Un fil me relie
A tous ceux qui souffrent
Sans savoir
Libère-nous de l’étau
Insulaire
Des bagnes
Perdus au milieu
Du Shéol abyssal
Je te prie
Seigneur
Avec tous les damnés
De l’enfer psychique